Philippe Pelaez, "brodeur d'histoires"
Western, polar, SF... le scénariste Philippe Pelaez ne s'interdit aucun genre, touche à tous les types de narration pour notre plus grand plaisir !

À l'occasion de la parution d'Épouvantail, drame fantastique dans un univers à la Tim Burton avec Stéphane Sénégas au dessin, et un mois à peine après la sortie en librairie de Remington 1885 avec Josep Maria Polls, nous avons le plaisir de vous partager un entretien exclusif avec le scénariste "brodeur d'histoires" Philippe Pelaez.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours en quelques mots ?
Philippe Pelaez : Je dois avouer qu’il est assez tortueux. J’ai une formation scientifique puisqu’après des études de médecine et de biologie je me suis orienté vers des études de langues et vers l’enseignement pour devenir professeur d’anglais et de cinéma-audiovisuel. J’ai enseigné en France, sur un atoll en Polynésie française, puis sur l’île de la Réunion pendant dix-huit ans. L’été dernier, je me suis installé dans la région de Vannes, en Bretagne, pour me consacrer exclusivement à la bande dessinée puisque je suis à présent en disponibilité de l’Éducation Nationale.
Qu'est-ce qui fut pour vous le "déclencheur" de votre 1er scénario ?
La BD, la littérature, le cinéma m'ont toujours intéressé. Écrire un livre est un des objectifs que je me suis fixé très jeune, mais entre mon métier, mon parcours, ma famille, je n’ai jamais vraiment trouvé le temps ou l’opportunité de le faire, du moins pour l’instant. Quant à mon premier scénario, il a été déclenché il y a une dizaine d’années par la rencontre avec Olivier Giraud, un dessinateur réunionnais intervenant dans le cadre d’un atelier artistique que j’animais dans mon établissement scolaire. Olivier m'a proposé de lui écrire une histoire et cette rencontre a donné naissance à ma première BD, publiée en novembre 2015, il y a presque dix ans. Alors que j’avais dans un premier temps considéré cela comme une sorte de défi, je me suis piqué au jeu en continuant à écrire et à mener de front ma carrière d’enseignant, les scénarios, ma vie de famille avec mes trois enfants.
Polar, humour, western, fantastique, récit historique... Vous ne vous interdisez aucun genre, vous ne rentrez dans aucune case. Était-ce un choix conscient ? ou est-ce arrivé par hasard ?
J’aime à citer cette phrase de l’écrivain Julien Gracq pour qui :
« Tout livre pousse sur d’autres livres »
et comment
« un esprit neuf transforme, absorbe et finalement restitue sous une forme inédite l’énorme matière littéraire qui préexiste avant lui ».
C’est peut-être cela le plus difficile : pouvoir se renouveler sans cesse. Je ne le fais pas de manière contrainte et forcée, car mes sources d’inspiration balaient un large spectre. J’aime passer d'un univers à l'autre comme s'il fallait que j'équilibre mes humeurs, en me nourrissant de mon expérience personnelle, des romans et des essais que j’ai lus, ou des films que j’ai aimés. J’essaie de me mettre en danger à chaque scénario, de sortir de ma zone de confort même si, au final, je ne pense pas avoir de zone de confort, justement. Mais j’apprécie assez de ne rentrer, comme vous l’écrivez, dans aucune case. D’une part parce que je ne veux pas être associé à un genre précis, mais aussi pour garder ma liberté d’écriture. La littérature n’est qu’intertextualité, depuis Homère, voilà pourquoi il est toujours difficile de renouveler un genre. Je ne recherche pas la perfection, loin de là, mais la musique des mots ; ces mots qui, en les agençant de manière originale, poétique, ou déroutante, feront de jolies histoires.
Y a-t-il un trait commun dans votre écriture qui transcende le genre ?
Ce serait extrêmement prétentieux de ma part d’affirmer que je puisse transcender un genre. En classant une œuvre selon son genre (étymologiquement "origine, naissance"), on lui attribue une étiquette abstraite en faisant référence malgré tout à des éléments concrets, à des invariants qui permettront à la grande majorité des lecteurs d'identifier l'œuvre. On peut prendre comme exemple les grands espaces, la conquête de l’Ouest, le héros solitaire, l’Indien pour le "genre" du western ; la jungle urbaine, les éclairages en clairs-obscurs, les détectives privés, la femme fatale, la voix-off omniprésente du narrateur pour le film noir ; le space-opéra, les voyages spatiaux, l’uchronie ou la dystopie pour la science-fiction… Bref, les genres pourraient ainsi apparaître comme très cloisonnés ; mais classer, c’est aussi exclure.
Voilà ce qui pourrait peut-être caractériser mon écriture : être "transgénérique", c’est-à-dire ne pas me cloisonner dans un genre précis mais jouer avec les invariants des uns et des autres sans suivre de schéma précis pour montrer que les genres sont des catégories aux parois très poreuses. Je pourrais prendre l’exemple de Neuf, qui mêle science-fiction réaliste et récit intimiste, Épouvantail dans lequel on retrouve les codes de l’horreur, du thriller, de la comédie et du drame ou bien Six, un western qui manipule les codes du genre.
Comment envisagez-vous justement le travail d'écriture ?
Tout d’abord comme un défi, celui de ne jamais pouvoir être répertorié et enfermé dans un style précis. Dans un second temps, alors que je considérais le travail d’écriture comme un jeu, j’ai assez vite réalisé que c’était également une catharsis, un exutoire qui me fait un bien fou ; je suis un hyperactif qui n’est pas en quête de performance mais qui cherche à se libérer. Je peux travailler jusqu’à dix-huit heures par jour sur plusieurs scénarios en suivant mon inspiration et en laissant mon imagination se développer, sans forcément savoir où je vais. J’ai une écriture frénétique qui m’amène parfois à me renfermer, à me couper des autres, d’être peu sociable alors que je pense être quelqu’un de plutôt avenant. Enfin, j’espère !
Quels sont vos "maîtres" en la matière ? Vos références ?
Je n’ai pas de maître, mais beaucoup d’admiration pour les scénaristes qui sont capables de prendre des risques et de parfois dérouter et surprendre le lecteur en changeant de style : Lupano, Zidrou, Desberg, Sente, Dufaux et Van Hamme font partie de ceux-là. Il en est de même pour les dessinateurs qui ne se cantonnent pas à faire toujours la même chose.
Pour Épouvantail, vous n'avez pas livré sur votre site "De bruit et de fureur" d'éléments de réflexion sur les thèmes abordés dans l'histoire. Pourriez-vous nous en donner quelques-uns ?
Écrire, c’est semer des petits bouts de nous dans les histoires ; il y a, dans Épouvantail, beaucoup de choses personnelles que nous avons en communs, Stéphane Sénégas et moi, et ce sera également le cas dans notre prochain projet Abrakadabra : une sensibilité à fleur de peau, un vécu particulier avec les parents, une relation parfois compliqué vis-à-vis des autres. Tout cela exsude dans chaque case, dans chaque phrase de notre livre Épouvantail.
Lily, une petite fille vivant à la campagne avec son père et sa belle-mère, qui découvre que le mannequin de paille et de bois à qui elle rend régulièrement visite possède le don de la parole. Les échanges sont d’abord houleux, l’épouvantail se montrant dans un premier temps désagréable et vulgaire, pour ne pas dire odieux. Au fil des jours, Lily devient l’amie de cet étrange personnage qui lui révèle qu’il a été le témoin d’un accident de voiture sur lequel enquête un officier de la gendarmerie. Petit à petit, nous réalisons que l’épouvantail ne parle pas uniquement à Lily, mais entre dans la tête de tous les acteurs de cette histoire. C’est un récit étrange qui mêle comédie, drame, fantastique, suspense. Un décloisonnement des genres, donc.
Parmi vos nombreux projets, pourriez-vous nous parler d'Intelligences à paraître bientôt chez Dargaud ?
Intelligences, écrit en collaboration avec un ancien agent du contre-espionnage, met en lumière le travail d’une équipe de la DGSI chargée d’obtenir des informations sur la possible prise en main du port syrien de Lattaquié par l’Iran. C’est une fiction, mais aussi un abrégé de géopolitique mêlant les services secrets français, russes, le Mossad israélien, tout cela dans un contexte brûlant qui fait écho à l’actualité récente, même s’il a été écrit bien avant les évènements du Moyen-Orient. Un nouveau… genre, pour moi !
On vous donne donc rendez-vous fin août pour découvrir Intelligences mais aussi le tome 3 de Six !
En attendant, nous vous invitons à découvrir les premières pages d'Épouvantail avant de le retrouver en librairie :
Bonne lecture !