Lapinot est de retour... dans une situation pas possible !
Lewis Trondheim n'en a pas fini avec son héros aux grandes oreilles et aux grands pieds et son copain Richard. Lapinot revient pour notre plus grand bonheur, on en redemande !! Entretien avec l'auteur

Par une belle nuit de pleine lune, Lapinot et Richard, tout en devisant sur l’avenir de l’humanité et les possibilités de vie dans l’espace, rejoignent des amis afin d’assister à une éclipse dans un château en ruines. Ils ne sont pas les seuls à avoir eu cette idée : ils rencontrent des amateurs de jeu de rôle, des bikers sympas, des juifs et des Arabes qui se réunissent autour d’un barbecue. Un peu plus tard, ils croisent l’un des joueurs, qui leur annonce que ses prédictions se sont réalisées et que plusieurs de ses copains sont morts à cause de lui. Info ou intox ? Mais quand Richard a la mauvaise idée de se coiffer de son chapeau, ils constatent que le type disait vrai, et que Richard a vraiment intérêt à faire attention à ce qu’il dit…
Pour le grand retour de Lapinot chez Dargaud, Richard va-t-il détruire l’humanité ?
Le Chapeau maudit
Après avoir mis en scène la mort de son héros dans La Vie comme elle vient, publié en 2004, Lewis Trondheim avait poursuivi ses aventures dans un univers parallèle et chez un autre éditeur, L’Association, où son personnage fétiche avait vu le jour en 1992 avec Les Carottes de Patagonie. Dans ce Chapeau maudit, Lapinot, Richard et tous les autres pratiquent avec brio l’art de la conversation et vivent une aventure hors du commun, servie par le trait joyeux et décontracté de Trondheim, son imagination infatigable et son sens inné du dialogue qui fait mouche. Autrement dit, cet album réjouira sans aucun doute les (nombreux) admirateurs de Lapinot, les bikers sympas, les pratiquants du jeu de rôle, les amateurs de joutes oratoires, les complotistes de tout poil et les anti-complotistes, ce qui fait tout de même pas mal de monde.
Entretien avec Lewis Trondheim
Pourquoi un retour de Lapinot chez Dargaud, vingt ans après le dernier album publié chez cet éditeur ?
J’étais fâché avec l’ancien directeur général de Dargaud, et je suis revenu à l’Association faire Lapinot. Et comme il n’y avait aucun mouvement à l’Association pour faire des livres un peu cousins à Lapinot, je m’y sentais seul et un peu inutile pendant dix ans.
Pour ceux qui auraient loupé les derniers épisodes, pouvez-vous rappeler en quoi cet univers de Lapinot diffère de la série initiale ?
Lapinot est mort et enterré dans La Vie comme elle vient. Et au bout de sept ans, je me suis demandé comment quelqu’un pourrait le reprendre après ma propre mort. J’ai commencé à réfléchir, j’ai trouvé une idée et j’ai dessiné douze pages en douze jours. C’est le signe qu’il était temps que je m’y remette. L’idée est toute bête, c’est un univers parallèle où il n’est pas mort.
En quoi le fait de situer la série dans un univers parallèle vous donne plus de liberté dans la narration ?
Je pense que c’est plutôt le fait d’avoir vieilli, j’ai plus d’assurance. Même si j’ai cette fâcheuse manie de douter très souvent de tout.
C’est un Lapinot très politique, mais comment définiriez-vous votre approche politique dans cet album ?
Il y a toujours plus ou moins des messages dans mes albums, conscients ou inconscients.
Dans celui-ci, oui, je parle de ma thématique favorite : le pouvoir. Mais j’espère être aussi très débile de temps à autre tout au long de l’album et ne pas être sentencieux. Mais plus que la politique, j’ai l’impression que le thème principal de l’album est le vrai et le faux. C’est une question cruciale pour l’avenir de notre société humaine. Et évidemment, je n’ai aucune réponse.
Je suis tellement Lapinot et Richard à la fois... Il y a une bataille permanente dans mon cerveau entre tout prendre au sérieux et ne rien prendre au sérieux.
Vous ne craignez pas que certains vous reprochent une vision wokiste – d’ailleurs pleinement assumée par Lapinot ?
Honnêtement, si être woke, c’est vouloir l’égalité pour tous et le respect pour tous, je suis woke à 100%. Si c’est harceler les gens sur les réseaux sociaux, imposer son point de vue et m’empêcher de manger du poulet rôti, je ne le suis pas. Cela dit, je ne mange plus de mammifères depuis plus de dix ans. Les poulets et les poissons seront sans doute les prochains à sortir de mon menu.
Vous n’épargnez pas les médias, auxquels vous reprochez de favoriser un sentiment d’insécurité dans la population…
Le journalisme est un contre-pouvoir extrêmement important. Mais s’il est manipulé par des milliardaires mal intentionnés, on risque de se retrouver sans garde-fous. Mais attention, c’est juste un bout de phrase au milieu d’un bon paquets de bêtises.
On croise des juifs et des Arabes, vous faites allusion à un « contexte international » pesant… La situation actuelle est-elle à l’origine de cette nouvelle aventure de Lapinot ?
Quand on vieillit, on se sent un peu investi d’apporter notre point de vue autour de nous. Si on est facho, on va faire du prosélytisme xénophobe et intolérant. Si on est plutôt dans une attitude bienveillante, on tente de parler du monde qui nous entoure, sans faire le donneur de leçons, mais sans être trop candide non plus. Et en mettant un maximum d’humour parce que bon, la vie n’est pas facile, et mon rôle d’auteur est tout de même de faire passer un bon moment à mes lecteurs, mais sans les prendre pour des imbéciles.
Il y a un ton provocateur dans cet album ?
Bah non… C’est plutôt l’époque qui a changé et est devenue hyper tendue et communautariste. Comme si on pouvait dire toutes les horreurs racistes, attaquer l’Éducation nationale, cracher sur le vivre-ensemble et détruire notre merveilleux système de santé sans problème, et à côté, se faire jeter des pierres si on dit qu’on trouve le langage inclusif bien peu maniable à l’oral et être menacé de mort si on fait des dessins rigolos.
Comme à votre habitude, vous avez largement improvisé ou avez-vous préparé un scénario ?
J’ai improvisé jusqu’aux deux tiers, comme souvent. Puis j’ai tracé jusqu’à la fin les lignes qui me semblaient s’être développées.
L’influence des jeux de rôle se fait sentir, mais de quelle manière les utilisez-vous ?
Ha ! Ha ! Pas du tout. Je ne joue pas aux jeux de rôle.
Selon vous, qu’est-ce qui fait le lien entre les albums de la série ?
La lettre « e », qui est dans tous les titres. Ha, non, il y a Slaloms et Mildiou, zut ! Bon, j’espère une sorte d’humanisme bienveillant, alors, mais pas cucul la praline.
De quel personnage vous sentez-vous le plus proche ?
Je suis tellement Lapinot et Richard à la fois... Il y a une bataille permanente dans mon cerveau entre tout prendre au sérieux et ne rien prendre au sérieux.
Savez-vous déjà dans quelle direction vous allez emmener la série ?
La science-fiction, puis un retour au contemporain, puis j’ai une bonne idée avec Tintin sans aucun procès possible.
Découvrez les premières planches du nouveau Lapinot :
Bonne lecture !