Harry Dickson, du roman à la bande dessinée

Par l'équipe Dargaud

Apparue dans les pages de Charlie Mensuel en 1985, la série Harry Dickson (par Zanon et Vanderhaeghe) constitue une adaptation en BD du personnage imaginé par Jean Ray à la manière de Blake & Mortimer. Une recette qui fonctionne parfaitement ! A l’heure où sort en librairie le tome 6, nous avons rencontré l’homme orchestre de cette réussite : Christian Vanderhaeghe.Pourquoi avoir adapté l’univers de Jean Ray en BD ?Après la création des éditions Blake & Mortimer avec Claude Lefrancq, au début des années 80, nous n’héritions que du fonds de la série au fur et à mesure de l’expiration des contrats d’E. P. Jacobs, et le tome 2 des Trois formules du professeur Sato à dessiner par le maître… A la recherche de nouveautés et afin de travailler éventuellement sur Blake & Mortimer, nous avons alors contacté Pascal Zanon. Très rapidement, nous est venue l’idée d’une nouvelle série dont le choix s’est porté sur l’adaptation en bande dessinée des nouvelles d’Harry Dickson par Jean Ray, bien entendu dans le plus pur style de l’école de Jacobs, de Hergé et de J. Martin, la célèbre “ ligne claire ”.Vous revendiquez donc bien cette appartenance ?Clairement. C’est aussi un choix de génération : Pascal et moi-même, nous avons été bercés par Tintin dans lequel se trouvaient, à ses débuts, en point de mire, Hergé, Jacobs et Martin. Lorsque je suis rentré en BD comme on rentre en religion, j’ai adapté l’univers des maîtres qui m’avaient marqué. Fidèle à mon époque comme mon fils à la sienne : il dévore les mangas !Ah ? !Il a été bercé comme téléspectateur, par le Club Dorothée avec ses dessins animés phares : Les Chevaliers du Zodiaque, Ulysse 21, Albator, etc. A 21 ans il lit donc des mangas mais aussi XIII, Thorgal ou Largo Winch, l’influence paternelle !Vous êtes un nostalgique ?Non, je ne crois pas. J’apprécie par exemple, en musique, tout autant Elvis Presley que Pascal Obispo tout comme, au rayon livres, Alexandre Dumas ou Tom Clancy.Harry Dickson est tombé dans le domaine public et une autre adaptation en BD de la série a vu le jour…Pas tout à fait. Un retour en arrière si vous me le permettez… Face au succès de Sherlock Holmes, au début du siècle, un éditeur allemand, de Dresde, décida de “s’inspirer” de la série de Conan Doyle en créant une série, Le Roi des détectives, éditée sous forme de fascicules bon marché et écrite par un collectif d’auteurs. Cette littérature populaire eut un vif succès, y compris en France grâce à sa diffusion par Hachette. La Première Guerre enflamme l’Europe et met fin à la diffusion de ces séries. Au début des années 30, un éditeur implanté à Gand, en Belgique, se souvient du succès rencontré par Le Roi des détectives et cherche à relancer cette série aux couvertures accrocheuses de Rolof. Pour cela, il coédite alors avec un éditeur hollandais la série originale allemande qu’il demande à un certain Jean Ray de traduire en français… Cette “ nouvelle ” série s’intitule : Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain… Sur les 178 fascicules publiés entre 1930 et 1939, une centaine est la création de Jean Ray, les autres sont des traductions ou des textes qu’il a plus ou moins remaniés. Au milieu des années 60, Henri Vernes, père de Bob Morane, mais également ami de Jean Ray, lui propose, en tant que directeur de collection chez Marabout, une réédition de la série dont les éditeurs originaux avaient disparu dans les flammes de Dresde ou avaient tout simplement fait faillite. Jean Ray accepte la réédition de cette série qu’il estimait “alimentaire”. Cependant, c’est la collection Marabout qui donnera la notoriété à Harry Dickson. Aujourd’hui, et probablement à cause du succès de notre adaptation en BD, des éditeurs opportunistes jouent sur un certain “flou artistique” autour de la paternité du titre Harry Dickson. Mais ils n’adaptent pas les nouvelles de Jean Ray, ils s’en inspirent. Entretemps les ayants-droits de Jean Ray ont confié cette affaire à leur conseil.Parlons de la nouveauté : il s’agit du tome 6…… Seulement ! Je sais (rires). Mais nous expliquons souvent que l’école de la “ligne claire” est une école de patience. Comme pour beaucoup de choses qui paraissent simples, l’épuration du trait, la recherche de la clarté, associée à une maîtrise parfaite de l’anatomie et de la perspective, ne peuvent qu’être le fruit d’un génie et n’étant pas des génies d’un long travail… il en est de même au niveau du scénario où une très riche documentation est indispensable. Pensez aux milliers de bouquins d’Hugo Pratt, aux 13 collaborateurs d’Hergé, aux voyages de Jacques Martin et voyez la production au compte-gouttes de notre ami Ted Benoit. Jacobs, quant à lui, me disait que, épuisé, il n’avait plus la force de rejoindre son lit et s’endormait sous sa planche à dessin.La Conspiration fantastique est une histoire composée de deux albums ?Oui, et cela à la suite des contacts que nous avons avec nos lecteurs, au cours de nos nombreuses séances de dédicaces. Puisque ceux-ci nous déclarent qu’ils restent parfois sur leur faim et souhaitent des histoires avec plus d’ampleur. Un album en 2 tomes devrait correspondre à leurs vœux.On retrouve Harry Dickson en Russie ?Oui, en plein dans les années 30, période particulièrement intéressante de l’histoire d’Europe et du monde L’époque où Jean Ray a écrit ses Harry Dickson.Alors, après l’Amérique et l’été new-yorkais, l’hiver russe et Moscou. Comme beaucoup d’auteurs nous aimons faire voyager nos personnages. Ce qui n’est cependant guère aisé car nous devons recréer toute une époque, un univers en images. Et l’iconographie de la Russie de Staline n’est pas particulièrement facile à trouver en dehors des images officielles. Mais comme j’ai la chance d’avoir été quatre fois en Russie entre 1964 et 1992 et que, en plus, j’y ai été invité pour écrire une histoire de la marine russe, je disposais déjà d’une bonne documentation et d’une connaissance des lieux. N’empêche qu’il faut meubler chaque image. Heureusement Pascal a fait des prodiges !On retrouve Georgette Cuvelier ?Oui, bien sûr, “notre” méchante à laquelle nos lecteurs ont l’air de beaucoup tenir. Et cette fois sous un autre uniforme, si l’on peut parler d’uniforme à propos de notre amie !(Zanon, le dessinateur, arrive et intervient alors dans la conversation).Pour moi ce fut assez nouveau car j’imaginais plutôt le méchant façon Fantomas ou Olrik, entre le génie du mal et le gentleman cambrioleur. Alors dessiner une femme qui a ces “qualités” est plutôt amusant. A tel point que dans cet album-ci j’ai même apporté une touche érotique à notre amie…Non ?Rassurez-vous (rires), je ne suis pas allé très loin. Juste ce qu’il fallait ! Ce n’est pas du Manara mais Georgette use tout de même de son charme auprès d’Harry Dickson qui, en bon British, reste parfaitement froid, le sot !Etes-vous allé à Moscou comme Christian Vanderhaeghe ?Non, mais je connais beaucoup de personnes d’origine russe, ici, à Bruxelles.Vous vous imagineriez dessiner une série humoristique ?Oui, mais dans le style dit de “l’école de Bruxelles” dont je suis un adepte… J’avoue avoir été fortement marqué, dans ma jeunesse, par Hergé, Vandersteen, Bob de Moor et quelques autres. Je suis d’ailleurs né dans la même clinique que Hergé et Franquin. J’ai ensuite habité pendant longtemps juste à côté de Jacobs… On n’échappe pas à son destin !EDK

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