Godard vagabond de l’écriture

Par l'équipe Dargaud



Qui n’a pas lu Le Vagabond des Limbes, Martin Milan, Norbert & Kari ? Ces récits sont toujours teintés de poésie et d’une intelligente sensibilité, à l’image de leur créateur. Aujourd’hui encore, Godard multiplie les expériences et se laisse aller à une “folie très ordinaire”, ce qui sera d’ailleurs le titre d’une série novatrice (à paraître chez Glénat). Il n’est jamais là où on l’attend mais son œuvre très personnelle reste d’une rare cohérence.


Depuis environ le début des années quatre-vingt-dix, on sent que vous cédez parfois à la mode, notamment sur des séries comme Les Baby-Sitters ou DocVéto.


Je pense qu’aujourd’hui il est de plus en plus difficile de faire des histoires pour soi. Elles viennent toutes, pour la plupart, de commandes d’éditeurs. Nous sommes toujours en situation de raconter une histoire dont on a envie mais à condition qu’on nous la commande.


Mais je n’ai pas l’impression de m’investir moins dans mes histoires. Je travaille actuellement sur deux séries, Le Cybertueur et Oki chez Glénat. Ce sont très exactement des histoires que j’avais envie de raconter lorsque j’avais 20 ans où je me destinais à la littérature policière…


D’où Pavane pour un catcheur défunt…


Oui… Cela a été une vraie déception pour moi de ne pas m’aventurer plus loin dans le style. Récemment j’ai écrit un autre roman policier, Le Petit Notaire, et travailler dans ce genre policier est un vrai plaisir. C’est tout à fait différent de ce que j’ai fait avec Martin Milan ou Norbert et Kari mais est-ce que je suis obligé de faire des récits “poétiques” toute ma vie ?


D’ailleurs, je ne suis pas certain que Le Cybertueur ou Oki seraient si dénués de poésie. Ces séries ont le désavantage d’être encore trop jeunes pour avoir eu le temps de développer cet aspect-là. J’ai eu 28 albums sur Le Vagabond pour “m’installer”. J’ai toujours mis beaucoup de moi-même dans mes histoires. Je me retrouve beaucoup dans Le Cybertueur, cet homme jaloux à l’extrême qui se numérise pour continuer à vivre et à aimer même après la mort.


Votre ressemblance avec Oki jeune fille au pair est un peu plus floue ! Ne trouvez-vous pas que ce personnage vit beaucoup trop d’aventures extraordinaires pour rester crédible ?


Je suis d’accord avec vous mais il me semble que cela était nécessaire pour installer le personnage. Mais dès le prochain album il sera beaucoup plus logique de la retrouver systématiquement au sein d’un conflit, d’une enquête de police.



*Oki n’est-elle pas un peu trop fragile pour être une héroïne ?


Bien sûr qu’elle est faible. Si elle était forte, elle serait beaucoup moins en danger. L’intrigue perdrait de son intérêt. J’ai donc choisi un personnage authentiquement démuni. D’abord, je déteste les héros. Martin n’est pas un héros, il contourne les difficultés. Axle n’est pas un héros.


Oui mais ils font des choix qu’ils assument. Ils restent fidèles à leurs rêves et en cela, ce sont des héros formidables.


C’est juste, mais ils ne sont pas des héros dans le sens où ils ne se battront jamais au bord d’une falaise.


Pour revenir à la notion d’investissement dans vos différentes séries, je ne vois pas bien le point commun entre Toupet et Le Grand Scandale.


Parce qu’il n’y en a aucun. J’ai toujours considéré comme ennuyeux de faire toujours la même chose. J’ai deux modes narratifs très différents : l’expression narrative humoristique de mes débuts. Voyez les gags que j’ai pu écrire pour Modeste et Pompon, Mister Magoo… et l’expression réaliste. Il pourrait quand même y avoir un rapport entre ces deux genres : la construction narrative. Quand on sait construire un gag, on sait construire un récit. Vous retrouvez le même profil du début, de la montée en puissance et de la chute, qui doit être le contraire de ce que l’on attend. Je vous rassure, je suis le seul à défendre cette théorie !


Vous êtes d’ailleurs très peu de scénaristes à naviguer entre les gags et les histoires réalistes.


Greg savait très bien faire cela.


Il y a bientôt 10 ans, vous aviez créé quelques séries parallèles au Vagabond. Leur échec signifie-t-il que c’était ce que j’appelle de fausses bonnes idées ?


Pas du tout. Je reste persuadé que c’était de très bonnes idées et je regrette de ne pas avoir pu mener l’aventure à son terme mais lorsque Dargaud a racheté Le Vagabond, ils n’en ont pas voulu. Mon regret va surtout à Musky vu par Gimenez.


L’idée de ne jamais lire la fin d’une histoire est assez terrible. Je pense aussi à votre fabuleuse série d’aventure policière Le Grand Scandale dont on ne connaîtra jamais la fin. Il y a aussi, paru dans les années quatre-vingt, Les Dossiers de l’archange… Et la série incroyablement angoissante, Le Bras du démon. Comment explique-t-on que des séries de cette qualité ne rencontrent pas leur public ?


Peut-être parce que les éditeurs ne leur laissent pas leur chance. Toutes ces séries ont été arrêtées après deux ou trois albums. Or, tout le monde sait qu’il en faut au moins six pour implanter une série, sauf cas exceptionnel. Il est vrai que j’ai dû en laisser plein en chantier mais j’estime malgré tout avoir eu une chance énorme. J’ai écrit 16 histoires de Norbert et Kari, 21 albums de La Jungle en folie, 30 Vagabond des Limbes, 15 Martin Milan…


On vous a laissé raconter vos “petites histoires”…


Oui… mais je n’ai pas de sentiment d’injustice. Par exemple, pour Le Grand Scandale, nous avons compris Julio Ribera et moi-même, ce qui n’allait pas mais nous n’avons pas réagi assez rapidement. Par contre, je regrette de ne pas avoir eu le temps d’utiliser convenablement l’idée. Il y a quelque temps, j’ai signé un contrat pour réutiliser sur un autre support, pour une autre exploitation tout ce qui n’est pas arrivé à maturité absolue comme Chronique du temps de la vallée des Ghlomes ou Le Bras du démon.


Il me semble pourtant que dans Achille Talon vous n’êtes pas allé aussi loin que vous le pouviez.


Dans le dernier album de Greg, il y a tout un délire verbal qui prend des proportions gigantesques qu’il m’était impossible de réaliser dans un premier album. Si je prends une page pour faire tout un discours, c’était facile. La preuve que je devais faire était de montrer que j’étais capable de trouver des gags pour Talon et de percuter sur la manière de s’exprimer de Talon. Il y a même un gag sans paroles, exprès pour faire la démonstration. Dès le premier album, je ne pouvais pas m’accorder les mêmes privilèges que Greg s’accordait.


Vous avez lancé la série DocVéto avec Achdé. On a l’impression qu’on ne sait plus faire de la BD d’humour sans se sentir obligé de choisir un corps de métier et de l’exploiter sous ses facettes les plus drôles.


J’avais proposé une autre idée, sans aucun rapport avec une corporation. Ils ont préféré DocVéto. Mais cela s’explique. Il est très difficile d’imposer un personnage anonyme aujourd’hui. Il doit avoir d’emblée une définition. Et puis les éditeurs demandent des gags en une planche. C’est plus facile à revendre à la presse. Et, dans un gag en une planche, il faut être incroyablement cursif. Donc, si dès la première case, votre héros est un agent de police, vous n’avez plus besoin de le présenter, ni de définir son quotidien, sa psychologie. On est donc contraint, dans les séries humour, de choisir des personnages qui ne nécessitent pas d’être présentés. On n’a pas assez de temps pour installer des personnages. Il faut que cela percute tout de suite. Pour DocVéto, la variété vient de la diversité des animaux qui seront mis en gag. Et puis, je ne dirai pas que ce sont des histoires de véto mais plutôt des histoires d’animaux.


Dans quel domaine prenez-vous le plus de plaisir ?


Je prends beaucoup de plaisir à écrire le prochain Cybertueur. Aujourd’hui encore je prends beaucoup de plaisir à écrire Le Vagabond. J’ai pu mettre beaucoup de moi dans cette série, à différentes époques de ma vie, et ça continue. J’y ai mis beaucoup de sincérité. Mais il ne faut pas perdre de vue que c’est de la BD et il ne s’agit pas de se défouler. On doit utiliser ses émotions pour raconter une histoire et c’est toujours plus facile lorsqu’on sait que cela va être transfiguré par le dessin d’un autre. Cela installe une distance.



Christelle Favre & Bertrand Pissavy-Yvernault


 

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