Pierre Christin nous parle de Mourir au Paradis

Par l'équipe Dargaud



Pierre Christin nous présente ici son prochain album, Mourir au paradis, qui sortira chez Dargaud dans la collection « Long Courrier » en octobre (dessin de Mounier). Un témoignage qui donne un éclairage particulièrement instructif sur certaines dérives sociétales…



C’est au cours d’un séjour chez un de mes amis américains, écrivain à Monterey, sur la côte ouest, que j’ai découvert ma première « gated city ». Non loin des terres de Clint Eastwood, il y avait là une luxueuse et gigantesque enclave située en bord de mer, un lieu entouré de murs et de barrières, avec check point et milices privées, parsemé de terrains de golf somptueux et de copies de manoirs anglais (ou burgs allemands, ou bastides françaises, ou pagodes japonaises). J’ai traîné dans cet espace exclusif aux règlements de copropriété drastiques et à la cooptation pointilleuse des nouveaux propriétaires, avec toujours un 4x4 de flic dans les parages, des caméras de surveillance partout et – fondamentalement – à peu près tout ce qui fait les plaisirs de la vie (se promener à pied par exemple) interdit. Ça m’a fait un choc.



Mais il a fallu un second choc pour que je sache vraiment ce que je ressentais. Car c’était aussi l’époque où la loi dite « 3 strikes you are out » commençait à produire ses premiers effets. Et, dans le journal local, je découvrais qu’un pauvre bougre (black bien sûr) venait d’écoper d’une peine de prison à vie incompressible, puisqu’il avait commis son troisième délit : après avoir piqué du cash dans une caisse de supermarché, il avait pissé dans un parc public et finalement volé un fer à repasser pour sa femme enceinte. Résultat des courses pour ces affaires dont on mesure aisément la gravité : au gnouf pour le restant de ses jours !



Je visitais d’autres lotissements protégés aux USA (souvent des lieux pour rentiers plus ou poins fortunés), mais aussi en Angleterre (c’est dans l’un d’eux qu’on avait installé Augusto Pinochet, non loin de Margaret Thatcher), à Johannesburg (où l’on a l’impression d’une ville assiégée) et en Amérique latine (où la grande bourgeoisie n’a jamais vraiment accepté la promiscuité raciale ou sociale). Et peu à peu mes pensées s’éclaircissaient, notamment avec la lecture des terribles textes de Loïc Waquant sur les prisons américaines rappelant, entre autres choses, qu’il y a plus de jeunes Noirs dans le système carcéral qu’à l’université.



C’est ainsi que j’en arrivais à la conclusion suivante : dans le monde moderne, c’est-à-dire le monde US, on met de plus en plus de pauvres en prison pour les écarter de la société. Mais, par une épouvantable ironie de l’histoire, les riches se mettent eux-mêmes en prison pour ne plus avoir affaire à cette société, se regroupant entre eux sur un rêve américain qui n’a peut-être jamais vraiment existé, un monde à la Frank Capra, à la Norman Rockwell, avec avocats intègres et petites filles en robes à fleurs dans des décors idylliques de films à téléphones roses.



A cela, il convient d’ajouter la présence massive des armes à feu que l’on trouve naturellement dans ces lieux où la défense exacerbée de la propriété individuelle tient lieu de morale à tout faire. Jusqu’au jour où l’arsenal se retourne contre les gamins de la communauté et entraîne l’un de ces massacres où une école se trouve prise sous le feu de ses propres enfants.



Tout était prêt pour aborder le récit de Mourir au paradis, d’autant plus que le phénomène des « gated cities » fait école en France, par exemple autour de Toulouse, même s’il reste pour l’instant plus bonhomme qu’aux USA et se résume pour l’essentiel à des pancartes menaçantes et à des tournées de maîtres-chiens.



Pour raconter Mourir au paradis, j’ai fait appel à Alain Mounier dont la délicatesse presque miniaturiste et la retenue élégante évitaient de sombrer dans le règlement de compte antiaméricain et l’outrance visuelle, qui n’est pas du tout mon propos. Nous avons fait le choix, en quelque sorte, d’un traitement doux de quelque chose d’extrêmement dur. Ce qui permet de poser calmement la question suivante. Au moment de la sortie de Partie de chasse, réalisé dans les années 80 avec Enki Bilal, le bloc soviétique paraissait encore au sommet de sa puissance et se revendiquait d’un « avenir radieux ». Moins de dix ans plus tard, il n’en restait plus rien et notre album était jugé par beaucoup d’observateurs politiques comme prémonitoire. Qu’en sera-t-il de Mourir au paradis ? N’ayant pas spécialement le goût de jouer les annonciateurs d’apocalypse, et même si l’on peut penser que l’Amérique de Bush est un colosse obèse perclus de maladies mentales, j’avoue que je n’en sais rien et que c’est aussi bien ainsi.



Pierre Christin

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