F’murrr, au sommet

Par l'équipe Dargaud

René Goscinny lui a dit "oui" en 1971. Devenu à la fois un familier et un pilier de Pilote, F'murrr a distillé son humour – un mélange de dérision, de non-sens et d'esprit – dans les pages de ce journal qui s'amusait à réfléchir et qui s'amuse aujourd'hui à revenir. Après cinq années de disette sans Génie des alpages, voilà que l'auteur nous propose enfin son treizième album intitulé Cheptel maudit. Forcément.






Lou Vidalou Si Goscinny l'adouba dans Pilote, Guy Vidal prit la suite et l'accompagna de nombreuses années, jusqu'à cette fichue journée du 4 octobre 2002.


"J'aimais bien m'asseoir à son bureau quand il n'était pas là, l'idée d'intervertir nos places m'amusait. Trop de gens s'accrochent à tout prix à leur place, c'est leur petit pouvoir de chef et Guy ne faisait pas partie de ces gens-là, je pense même que le pouvoir l'effarouchait."



Cette relation privilégiée – "avec un petit orage ici ou là mais le baromètre ne peut jamais être éternellement au beau temps fixe" – reposait d'abord sur une relation humaine profonde. Lou Vidalou, comme le nommaient affectueusement certains de ses proches, est toujours présent.


"Il a soutenu les auteurs, c'était un fidèle même si cela le mettait parfois dans des situations inconfortables, il fallait bien ménager la chèvre et le chou… Le plus drôle, c'est quand il endossait l'habit de directeur d'édition, me rappelant que ce serait pas mal d'avancer sur le nouvel album du Génie, chiffres à l'appui ! Je crois bien qu'il a tout essayé pour m'encourager, jusqu'à jouer la jérémiade, affirmant que c'était un miracle si la série fonctionnait aussi bien malgré l'absence de nouveauté."






Si cette notion de pouvoir embarrassait Guy, celle de carrière paraît une notion encore plus abstraite pour un auteur plutôt intransigeant.


"J'ai su une fois, par ouï dire, car c'est toujours comme ça que ça se passe, que je me construisais une soi-disant carrière. C'est ridicule. Il y a des moments où l'on doit faire des choses, c'est aussi simple que ça. Quand ce moment arrive, on les fait. Cet album du Génie existe, c'est maintenant le moment pour l'éditeur de bouger, à chacun son rôle, moi j'ai rempli le mien en finissant l'album. Maintenant je réfléchis à la proposition qui m'a été faite de signer un album de la série Donjon. Je prends mon temps, il faut que l'idée fasse son chemin."






Et pour cause, ce serait la première fois que F'murrr réaliserait la partie graphique d'un album qu'il n'aurait pas lui-même scénarisé, Lewis Trondheim et Joann Sfar étant les scénaristes et concepteurs attitrés.


"Lewis Trondheim a un fichu caractère, Joann Sfar a aussi de la personnalité, ce ne sera pas simple : si nous arrivons à définir la méthode de travail qui m'intéresse, pourquoi pas. Mais je ne le ferai que si je sens bien l'affaire, sinon…"






Prisonnier du Génie des alpages ? Conscient que son nom est indissociablement lié à la série du Génie des alpages, F'murrr ne se sent cependant pas prisonnier de la série. Il l'affirme lui-même, le plus compliqué est de se renouveler.


"Franquin n'était par exemple prisonnier de Spirou que parce qu'il se mettait lui-même une forme de pression. Après, c'est plutôt la série qui a retenu prisonniers les auteurs qui ont repris Spirou. Blake & Mortimer, c'est un peu la même chose, l'après Jacobs a été difficile parce que son créateur n'était plus là, tout simplement. Je sais bien que le succès est maintenant au rendez-vous mais je reste perplexe par l'idée de reprise."






Respect de l'œuvre ? Il n'y a ici pas de doute, la méfiance de F'murrr tient surtout à la recette miracle qu'un service commercial aurait prétendument trouvée. C'est entendu, il n'existe pas de formule magique permettant de créer un best-seller et le catalogue d'un éditeur se construit dans la durée. Au fait, et si dans 40 ans un auteur souhaitait reprendre Le Génie ? Sourire de l'intéressé qui répond sans ambages…


"Pourquoi pas. Ce serait sans doute moins complexe que reprendre Spirou ou Blake & Mortimer car l'univers du Génie est hors époque, il n'y aurait pas ce poids de rendre les choses crédibles à tout prix puisqu'elles ne le sont pas par nature dans ces alpages."






Les enfants de Pilote De fait, le succès du Génie des alpages échappe à toute logique, ce qui est facilement rassurant. Acquiescement de F'murrr :


"En biologie on a l'habitude dire que ce sont les mutations qui font évoluer l'espèce. Cette théorie est valable dans l'édition, les choses doivent évoluer, même l'erreur fait partie de cette évolution. Je me souviens d'une couverture du Génie, Bouge tranquille, qui avait été mal été interprétée au stade de l'impression et la couleur n'avait plus rien à voir avec l'original. Eh bien le résultat s'est avéré plutôt intéressant, on a gardé cette version. L'immobilisme c'est la mort, on doit accepter les accidents, l'aberration qui contribuent au mouvement. C'est valable pour l'auteur et l'éditeur : la bonne santé de Dargaud est bien sûr liée à la richesse de son fonds mais aussi au renouvellement de son catalogue. Le fait d'intégrer ces corps étrangers, qu'ils se nomment "Poisson Pilote" ou autre, c'est introduire la créativité, la variété."






C'est aussi l'histoire de Dargaud née dans les pages de Pilote où bon nombre de personnalités se sont côtoyées, de Reiser à Uderzo, de Druillet à Charlier, en passant par Mézières, Giraud, Fred, Lauzier, Bretécher, Bilal, Christin, Cabu et bien d'autres. Tous ces auteurs souvent très différents ont forgé le caractère de la maison d'édition d'une grande richesse.


"Georges Dargaud disait souvent que tout est négociable. Cette phrase me faisait rire mais sans s'en rendre compte il résumait un peu un état d'esprit de la boîte : chacun peut participer, apporter sa petite pierre à l'édifice, il n'y a pas d'ostracisme. Je n'oublie pas les conflits qui existent ici ou là, la bande dessinée n'est pas un monde merveilleux dans lequel tout le monde s'adore ! Je n'oublie pas aussi les contrats léonins de certains éditeurs mais globalement, dans la bande dessinée, nous sommes épargnés. Et c'est très bien comme ça."






Pudique, F'murrr a du mal à parler de lui. Observateur, curieux, attentif, râleur. Que lui inspirent ces qualificatifs ?


"Observateur, pourquoi pas, mais j'ai des problèmes de mémoire, c'est très embêtant, je suis handicapé de ce côté-là surtout quand il s'agit de reconnaître quelqu'un que j'ai juste croisé une fois. Le pire c'est quand une personne me demande son chemin, je peux lui dire à droite ou à gauche mais lui donner les noms de rues, pfffff. Curieux, oui, c'est exact. Mais aussi prudent. Voire méfiant. Attentif, si on veut. En tout cas attentif au genre humain et à ce qui m'entoure. Râleur, grmbllll… On ne peut pas réduire quelqu'un à quelques mots. Pourtant Sokal y arrive bien, lui, il a l'art de la formule et de la concision".






L'art de la futilité Il existe un autre trait de caractère essentiel que l'on retrouve dans Le Génie et les autres créations de F'murrr : la futilité. L'art du détail restitué, de la chose a priori anodine, de ce qui est finalement essentiel par opposition au superficiel, à l'apparence à tout prix, fait dominant de notre société.


"J'ai horreur de cette forme de parisianisme qui consiste à se montrer ostensiblemment et à acheter par exemple Libération ou même Le Monde. Alors quand je la ramène avec mes problèmes de robinet qui fuit, je passe forcément pour un extra-terrestre. Car ce parisianisme n'a pas totalement épargné la bande dessinée et même à Bruxelles, ville que j'adore, je trouve parfois ce type de comportement. Pour certains l'important n'est pas d'avoir une opinion mais d'avoir une opinion qui rejoigne un consensus admis, de manifester pour se montrer, de signer une pétition pour s'en targuer."



L'art du futile a atteint des sommets avec l'écrivain anglais P.G. Wodehouse dans ce qui reste son œuvre majeure : Jeeves. F'murrr a justement choisi d'ouvrir Cheptel maudit par une phrase de Wodehouse et cela n'a rien du hasard.


"C'est l'opposition même de la prétention parisianiste. Jeeves, c'est la futilité dans ce qu'elle peut avoir de grandiose et une forme d'humour anglais pleine d'esprit, c'est un régal absolu."






Humain… et superstitieux ? Tout simplement humain. Une vérité oubliée, à l'instar des hommes politiques et dirigeants que F'murrr ne se gêne pas d'égratigner dans ses albums, qu'ils apparaissent en hauts fonctionnaires zélés ou en dignitaires impotents.


"Que ce soit Jospin, Aznar ou Raffarin, j'ai vraiment le sentiment qu'ils ont un détachement absolu de tout sentiment humain. C'est implacable. Je sais bien que c'est un peu facile de dire ça, alors je m'en amuse à ma façon, y compris dans le choix des titres des albums. À propos de Monter descendre, ça glisse pareil, on avait essayé de photographier Balladur au Salon du livre de Paris avec l'album mais ça n'avait pas marché. Bouge tranquille pourrait faire penser à la force tranquille de Mitterrand et ce n'était pas voulu. Quant à Après nous le déluge, j'avais choisi ce titre après que Georges Dargaud a revendu sa maison d'édition en 1989…"



XIIIe album du Génie des alpages : au fait, F'murrr est-il superstitieux ?


"Non. Enfin pas vraiment. Quoique, oh là là… mais c'est quoi cette question ? !


François Le Bescond



PS : Une édition à tirage limité contenant 5 ex-libris sous jaquette sera mise en vente.

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