Christophe Blain, un talent "hors norme"

Par l'équipe Dargaud

Les lecteurs du magazine Lire découvriront en avant première - à la fin du mois de mai - les premières pages du nouvel album d’Isaac le pirate. Cinquième volet de la série, cet album témoigne du parcours de son auteur, Christophe Blain, dont le premier album (Hop-Frog sur un scénario de David B.) avait d’emblée marqué les esprits.


André Juillard parlait de votre travail avec une certaine admiration, mettant en avant « un talent hors norme dans un monde où l’on apprécie justement exagérément la norme ». Ça fait quoi de découvrir ces propos ?!


Ça fait plaisir ! (rires). Venant d’un auteur tel quel lui, ces propos ont d’autant plus de signification.


Vous avez vous même quelques « maîtres » et notamment pas forcément ceux auxquels on pourrait penser…


De façon générale je ne lis pas beaucoup de bande dessinée pour éviter d’être trop influencé par des auteurs et de m’enfermer du même coup dans un circuit fermé. C’est pourquoi je m’intéresse plus largement à la peinture ou au graphisme : j’admire par exemple Gustave Doré, Toulouse-Lautrec ou Honoré Daumier. Globalement les illustrateurs de la fin XIXe et début XXe siècle m’intéressent particulièrement, il y a eu à cette époque un foisenement graphique et pictural intense. J’aime bien aussi l’aspect rétro d’auteurs plus anciens tels que Alain Saint-Ogan, Christophe, Winsor McCay ou même Hergé qui ont pu m’influencer, mais là il s’agit d’auteurs suffisamment éloignés - dans le temps et dans le style - pour que je puisse m’inspirer de leur travail.


On sent que vous dessinez Socrate instinctivement pour finalement réussir ce qui constitue le Graal de beaucoup de dessinateurs : aller à l’essentiel.


Cela ne se limite pas au dessin, c’est aussi un objectif narratif dans la manière de raconter les histoires. C’est un idéal et, forcément, je n’y arrive pas ! Arriver à plus de simplicité est difficile, cela peut paraître paradoxal mais c’est la réalité. Ma démarche va de toutes façons dans ce sens pour l’instant, surtout avec Socrate, effectivement.


La fameuse « ligne claire », développée par Hergé que vous citiez, était aussi une démarche tant par le graphisme que par la narration.


Hergé a incontestablement mis au point un système narratif qui a fait école. Mais, à ce propos, j’aurais tendance à me méfier des systèmes car le piège, pour moi, serait de tourner en rond, de s’enfermer dans une méthodologie de travail. Ne pas toujours faire la même chose, éviter le systématisme et ressentir du plaisir dans la création sont des impératifs. Je ne me vois pas adopter un style immuable, tomber dans la facilité en faisant éternellement du « Blain » ! C’est un piège d’autant plus réel qu’il y a une forme de répétition dans la bande dessinée, il est facile de devenir sa propre caricature. Ceci dit je suis bien sûr conscient de mes propres limites…


Socrate c’est une collaboration avec Joann Sfar avec lequel vous êtes très complice.


Joann est un ami. Cela se traduit aussi dans la façon de travailler : il me propose un scénario assez synthétique car il sait que j’ai besoin d’une certaine liberté pour avoir le plus de plaisir possible à illustrer ses scénarios. Même le contexte de l’histoire, la Grèce antique, est appréhendé de façon très libre pour nous permettre d’interpréter l’histoire du (demi) chien Socrate. On se fiche bien d’être historiquement crédible, on ne cherche par exemple pas à adapter Homère avec toutes les contraintes que cela impliquerait, et c’est ça qui est amusant ! Seule la cohérence de notre histoire compte, après les possibilités sont infinies. N’essayez donc pas de me faire comprendre que les vases grecs ne ressemblaient pas rigoureusement à ceux que je dessine, ça n’a acune importance.


Parlons d’Isaac. Résumons : un peintre – qui aurait pu faire une Ecole d’art comme vous – se trouve malgré lui embringué dans un tour du monde avec de vrais pirates. Ce point de départ vous l’aviez dès le début ?


Au départ j’avais en tête un récit qui devait représenter un ou deux albums. L’idée était là mais je n’avais bien sûr pas écrit l’ensemble du scénario. C’est en avançant que je me suis apperçu que l’histoire s’enrichissait avec le temps. Je me suis même surpris à développer des idées de départ qui n’étaient pas prévues. Parfois ça devient complètement autre chose, ça peut très bien être un croquis d’un personnage qui va déclencher une idée des mois plus tard. En fait je réalise que le personnage évolue avec moi, au point de me demander ce que je veux ni plus ni moins raconter.


Question existentielle…


Bien sûr, elle fait partie de la création. L’idée, pour moi, est de ne pas savoir trop précisément ce que je vais raconter sinon ça devient une démonstration et non plus une narration. Quand je me surprends moi-même, il y a des chances que je surprenne aussi le lecteur.


Vos personnages vous surprennent-ils parfois eux-mêmes ?


Evidemment : ils ont leur propre logique qui peut m’échapper, c’est plus ou moins conscient. Le plus troublant est de découvrir après coup pourquoi on a écrit ou dessiner telle séquence…


On sent qu’un personnage comme Jacques prend une importance qui n’était sans doute pas prévue à ce point.


Je le pressentais, mais il ne faut pas perdre de vue que j’ai écris le premier épisode il y a plus de cinq ans déjà. Je savais que Jacques allait avoir un rôle important mais sans connaître de quelle manière il allait précisément intervenir par la suite. J’ai notamment pris beaucoup de plaisir à mettre en scène Jacques en présence du père d’Isaac : celui-ci l’impressionne et Jacques, qui est quand même un pirate, devient presque un enfant devant lui !


Il y a un justement aspect tragi-comique très fort dans Isaac. Vous exploitez des situations dramatiques et dures en introduisant un décalage avec une réaction parfois enfantine de vos personnages comme cette scène, dans Les Glaces, où les pirates se prennent d’affection pour un pingouin qui devient une mascotte !


Isaac le pirate n’est pas une série réaliste. J’ai donc une marge de manœuvre qui me permet de développer ce type de décalage. Certes la matière de départ est importante, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai consulté un historien, lorsque j’ai démarré le quatrième album qui se passe en ville pour en savoir plus sur les décors de l’époque. Il a nourri mon imaginaire par la même occasion, mais après j’en fais ce que je veux en fonction du récit. Je reste volontairement vague sur les lieux et l’époque, je précise à peine qu’il s’agit de Paris, c’est « la capitale » qui donne lieu au titre du quatrième épisode, de même Isaac ne croise jamais de personnages historiques et c’est tout juste si on sait à quelle époque ça se passe, plus ou moins la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les personnages n’appartiennent pas à une époque mais à mon imaginaire.


Le fait d’être en atelier est devenue une chose essentielle dans votre travail ?


Aujourd’hui je n’imagine pas travailler seul. C’est quand même plus sympa d’être en atelier même si on est moins nombreux qu’avant : j’ai connu l’atelier place des Vosges où nous étions neuf, aujourd’hui nous sommes trois avec Riad et Mathieu*. Si ce que nous faisons est différent, notre conception du métier est proche, c’est vraiment super agréable de bosser ensemble.


Si vous n’étiez pas auteur de bande dessinée, quel serait votre métier ?


Chanteur ou crooner, c’est un métier ça ?! (rires).


La petite histoire de western publiée dans le dernier Pilote devrait-elle aboutir à autre chose ?



C’est le projet sur lequel je travaille en ce moment… eh merde, je suis en retard sur les prochaines pages, je dois m’y mettre !..



François Le Bescond



* Mathieu Sapin et Riad Sattouf

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