La Banque : dossier historique par Philippe Guillaume

Par l'équipe Dargaud

La Banque : dossier historique par Philippe Guillaume

À la veille de la Révolution, les progrès de l’économie et la nécessité pour l’État d’emprunter sans cesse davantage d’argent ont débouché sur l’organisation progressive de structures de crédit qui apparaissent alors relativement bien diversifiées. Malgré les réformes menées par l’administration impériale, celles-ci ne pourront s’épanouir pleinement qu’avec l’effondrement de l’Empire napoléonien et le retour de la paix.

L’histoire de Charlotte et Christian de Saint-Hubert, ces deux enfants d’émigrés de la Révolution française, dont les parents, fuyant la Terreur, ont trouvé refuge à Londres quelque vingt ans plus tôt, démarre donc tout naturellement en cette année 1815, quelques jours avant la défaite de Napoléon à Waterloo. À travers leur odyssée et celle de leurs descendants, c’est toute l’histoire de la banque moderne que les auteurs de cette série entendent revisiter à l’aune de ce récit de fiction.

La Banque tome 1 - 1815/1848 - Actuellement en librairies

Une dynastie de banquiers


Le nom des Rothschild est indissociable de l’histoire de la banque moderne. Ces banquiers d’origine juive allemande doivent leur nom à l’enseigne de leur maison de Francfort, berceau de la famille, qui portait l’inscription « Zum roten Schilde » (« Au bouclier rouge »). Le fondateur de la dynastie, Mayer Amschel Rothschild (1744-1812), rendit d’importants services à l’Angleterre et aux alliés contre la France. Ce sont ses cinq fils, autorisés à ajouter une particule à leur nom en 1817, puis faits barons en 1822 par l’empereur d’Autriche, qui donnèrent forme, avant l’heure, à une Europe économique et financière.

L’aîné, Amschel (1773-1855), reprit la direction de la maison de Francfort à la mort de son père. Salomon (1774-1855), établit en 1821 la branche viennoise. Nathan (1777-1836), envoyé par son père dès 1798 en Angleterre, donna sa puissance européenne à la famille après avoir spéculé brillamment sur l’issue de la bataille de Waterloo. Carl (1788-1855), fonda la branche napolitaine.

Enfin, le benjamin, Jacob (1792-1868), mit en place la branche parisienne, devenant ainsi le banquier de Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe sous le nom de James. Formé aux côtés de son frère Nathan – qu’il rejoignit en Angleterre en 1808 alors que celui-ci, diversifiant ses activités, se détournait du textile pour s’intéresser à la finance –, Jacob s’établit à Paris en 1812, où il créa la maison MM. de Rothschild Frères.

Nathan Rothschild aurait-il été averti de la défaite probable de Napoléon par pigeon voyageur ?…

Pour les besoins du scénario de La Banque, qui reste avant tout une fiction, nous l’avons momentanément fait revenir à Londres auprès de son frère Nathan en ce printemps 1815. Les puristes voudront bien nous pardonner cette petite liberté avec la vérité historique, sachant que Jacob, devenu James, continuera à se rendre régulièrement en Angleterre tout au long de sa vie.

Un fameux « coup de Bourse »

Le fameux « coup de Bourse » de Nathan Rothschild est au centre de ce premier épisode de La Banque. En ce printemps 1815, une nouvelle coalition – la septième depuis 1792 – rassemblant presque toute l’Europe s’est constituée pour combattre Napoléon, revenu de son exil de l’île d’Elbe. Sans attendre, l’Empereur se porte au-devant des troupes anglaise et prussienne, commandées par le duc de Wellington et le feld-maréchal de Blücher, qui sont arrivées les premières en Belgique.

 En passant très vite à l’offensive, Napoléon espère remporter une victoire décisive avant que la coalition n’ait eu le temps de rassembler des forces écrasantes. Il fait le pari que cette stratégie, utilisée plusieurs fois avec succès, va une nouvelle fois se révéler payante.

Après de premiers engagements le 16 juin, qui sèment la confusion dans les rangs des coalisés, la bataille décisive a lieu deux jours plus tard à Waterloo, petite bourgade située dans le Brabant wallon, au sud de Bruxelles. Toute la journée du 18 juin, l’armée française, légèrement supérieure en nombre, tente de déloger les troupes britanniques retranchées au sommet d’un escarpement. Napoléon compte sur l’arrivée des renforts commandés par le maréchal Grouchy pour l’emporter. Las ! Celui-ci s’est fait distancer par l’armée prussienne de Blücher, qui vient sceller le sort de la bataille en fin d’après-midi.

Pour Nathan Rothschild, la défaite de Napoléon est une aubaine. Envoyé par son père poursuivre des études en Angleterre, il a commencé à faire fortune dans le commerce local du textile, renommé alors pour sa grande qualité, avant de s’intéresser à la finance à partir de 1809. Nathan Rothschild a surtout mis sur pied un réseau de renseignements et de courriers très efficace. Le 20 juin 1815, il est ainsi informé bien avant les autorités anglaises de la défaite des troupes napoléoniennes.

 L’Histoire a retenu plusieurs versions de cet épisode. Pour les uns, Nathan Rothschild l’aurait appris de la bouche même de l’un de ses émissaires, fraîchement débarqué d’un navire en provenance de la côte belge ; pour les autres, c’est par un message transporté par un pigeon voyageur que la nouvelle lui serait parvenue. Toujours est-il que, fort de cette information, Nathan Rothschild se précipite en toute hâte à la Bourse de Londres pour y vendre ses actions English Consul. Les agents de change présents en déduisent que l’Angleterre a perdu la guerre. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et les actionnaires, pris de panique, vendent leurs actions à leur tour avec frénésie, provoquant une dégringolade des cours. Au bout de quelques heures, Nathan Rothschild peut ainsi les racheter pour une bouchée de pain. Peu après, la nouvelle officielle de la défaite de Napoléon arrive enfin. Les cours remontent alors en flèche, permettant à Nathan Rothschild, qui s’est emparé de toute la grande industrie anglaise à la faveur de ce « coup de Bourse », d’engranger de gigantesques plus-values et d’asseoir la fortune familiale.

En une journée, le patrimoine déjà considérable des Rothschild aura ainsi été multiplié par vingt. Et Nathan Rothschild deviendra à son tour le banquier de la couronne d’Angleterre.

London Stock Exchange (Capel Court)

Le « Old Boys Club » de Capel Court


Pour doubler Nathan Rothschild et profiter du « coup de Bourse » qu’il prépare, nos deux héros, Charlotte et Christian de Saint-Hubert, se rendent en ce matin du 20 juin 1815 à Capel Court, là où est installé le London Stock Exchange depuis 1801. Las de voir le parquet de négociation qu’ils occupaient depuis 1773 à Sweeting’s Alley perdre sa légitimité en s’ouvrant trop largement au public, quelques courtiers londoniens triés sur le volet, tous professionnels reconnus de la finance, ont décidé, le 3 mars 1801, de transférer leurs activités à l’ombre de la vénérable Banque d’Angleterre.

Leur emménagement dans le nouveau bâtiment qu’ils ont fait construire à Capel Court marque véritablement le début de l’ère moderne des marchés financiers. Mais ce n’est que l’ultime étape d’une histoire commencée plus d’un siècle plus tôt.

En marge du Royal Exchange, une Bourse de commerce ouverte par Thomas Gresham dès 1571 sous le règne d’Élisabeth Ire sur le modèle de la Bourse d’Anvers, la négociation des actions s’est développée à Londres à partir de la fin du xviie siècle autour de Change Alley, une petite ruelle au cœur de ce qui deviendra le quartier financier de la City.

À cette époque, il n’existe déjà pas moins de 140 sociétés par actions en Angleterre.

Les transactions se tiennent alors dans deux cafés, le Garraway’s et le Jonathan’s. C’est là qu’un agent de change, John Castaing, publie avec son fils en 1698 la première cote des valeurs, l’ancêtre de la cote officielle de la Bourse de Londres.

Quand, en 1773, le Jonathan’s Coffee House est détruit par un incendie, les courtiers, qui se sont organisés en club douze ans plus tôt pour formaliser les règles de négociation des actions, font inscrire au fronton de leurs nouveaux locaux de Sweeting’s Alley la mention « London Stock Exchange », qui renvoie directement aux métiers du change.

La Bourse de Londres est officiellement née.

Le futur économiste David Ricardo, âgé de 14 ans, au moment de l’ouverture, y fera ses premières armes dès l’âge de 15 ans, avant de fonder sa propre charge d’agent de change en 1793. Mais il faudra encore attendre quelques années pour que les pionniers de Capel Court, excédés par la cohue et le manque de professionnalisme de leurs confrères, ne se décident à refonder la Bourse en limitant son accès à 500 membres. Les hauts-de-forme, les redingotes grises et les jabots de soie deviendront dès lors l’uniforme chic des membres de ce que l’on surnommera désormais le « Old Boys Club ».

Le Palais-Royal, nouveau lieu de résidence de Charlotte

Du Palais-Royal au palais Brongniart


Lorsqu’elle s’installe à Paris après avoir fui Londres, Charlotte de Saint-Hubert emménage au Palais-Royal. Son choix n’est pas anodin. Le bâtiment et les jardins, construits par le cardinal de Richelieu et légués par Louis XIV à la maison d’Orléans, sont devenus, depuis la grandiose opération immobilière réalisée en 1780 par Louis Philippe Joseph d’Orléans, duc de Chartres et futur Philippe Égalité, le rendez-vous à la mode d’une société parisienne et libertine qui fréquente assidûment cafés, restaurants et maisons de jeu, ouverts en grand nombre sous les arcades du palais.

C’est aussi là que se tiennent chaque jour, en ces années de Restauration, les négociations boursières qui sont abritées depuis octobre 1807 par la galerie de Virginie, sous la grande salle du Tribunat.

Certes, l’empereur Napoléon Ier a bien confié en 1808 à Alexandre Théodore Brongniart le soin d’édifier sur

l’ancien terrain du couvent des Filles-Saint-Thomas un bâtiment pour rassembler le tribunal de commerce et une Bourse jusque-là nomade, baladée au gré des époques entre des lieux plus insolites les uns que les autres. Pour l’édifice, l’architecte s’est clairement inspiré du temple de Vespasien à Rome, car il a substitué dans son projet définitif l’ordre corinthien à l’ordre ionique initialement choisi afin de donner plus d’élévation à la construction. Mais lorsqu’il décède, le 6 juin 1813, à l’âge de 74 ans, ce qui deviendra son œuvre maîtresse est loin d’être achevé. Le chantier ne sera mené à son terme par Éloi Labarre, assisté d’Hippolyte Lebas, que dix-neuf ans après son lancement, en 1826. Entre-temps, la Bourse aura encore été déménagée pour un hangar insalubre de la rue Feydeau, où elle restera huit ans avant de rejoindre le « temple de l’argent », conçu par Alexandre Théodore Brongniart.

Philippe Guillaume

Sources bibliographiques

Le Petit Mourre. Dictionnaire d’histoire universelle, Michel Mourre, nouvelle édition revue et augmentée, Bordas, 2006

Histoire de la Bourse, Paul Lagneau-Ymonet et Angelo Riva, La Découverte, 2012

Le Palais-Royal. Un demi-siècle de folies, 1780-1830, Rodophe Trouilleux, Bernard Giovanangeli Éditeur, 2009

La Révolution inachevée, 1815-1870, Sylvie Aprile, collection « Histoire de France », dir. Joël Cornette, Belin, 2010

La Planète Bourse. De bas en hauts, Michel Turin, collection « Découvertes », Gallimard, 1993

Les Rothschild en France au xixe siècle, catalogue édité sous la direction de Claude Collard et Mélanie Aspey à l’occasion de l’exposition présentée du 20 novembre 2012 au 10 février 2013 à la Bibliothèque nationale de France (BNF).

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