Joann Sfar "J’ai l’impression que le Chat c’est moi"

L'auteur du Chat du Rabbin a répondu à quelques-unes de nos questions...

Par l'équipe Dargaud

Joann Sfar "J’ai l’impression que le Chat c’est moi"

Vous avez dit en interview que le Chat du Rabbin vous avait aidé à reprendre le stylo, vous vous servez également du Chat pour communiquer sur les réseaux sociaux. Que représente-t-il dans votre bibliographie, dans votre vie ?

D’abord c’est mon vrai chat. C’est un chat que j’ai depuis 15 ans, c’est tout bête mais ça a une petite importance. Ensuite, j’ai eu la chance de devenir - entre guillemets - célèbre avec celle de mes séries que j’aime le plus. Il y a deux personnages avec lesquels je signe pratiquement toutes mes lettres : le Chat et Petit Vampire, je ne sais pas pourquoi… ce sont ceux qui me sont le plus personnel. J’ai l’impression que le Chat c’est moi pour le dire plus simplement, même s’il est plus maigre que moi (rires).

Dans ce nouvel album du Chat du Rabbin, le Chat vit un bouleversement. Il prend conscience qu’il n’est pas le centre du monde. Est-ce le thème principal de cet album ?

Le thème de la série du Chat du Rabbin, c’est la parole. A quel moment il faut fermer sa gueule, à quel moment il faut parler, à quel moment il faut dire la vérité, à quel moment il vaut mieux éviter… et on voit bien que dans son apprentissage de la parole, le Chat évolue. Là, j’ai l’impression que le thème de cet album, c’est la vérité. Ce Chat qui a beaucoup menti à tout le monde, tout d’un coup se prend de passion pour la vérité, et évidemment c’est une vérité qui va faire assez mal. C’est ça qui  m’a l’air d’être le thème central.

Ne pas être le centre du monde… il est bien obligé d’en prendre conscience mais je crois qu’il n’en est pas très content !Je ne crois pas qu’il va apprendre ça très durablement. Simplement De manière plus prosaïque, l’interrogation de l’album est : que se passe-t-il dans une famille quand un enfant arrive. J’ai utilisé un petit chat pour dire le désarroi des papas ou des hommes qui voient arriver un enfant et qui ont peur d’être détrôné, qui mettent un moment à se rendre compte que l’enfant ne leur vole rien. Ça, je crois que c’est une angoisse typique d’homme méditerranéen… enfin j’en ai l’impression.

En tant qu’auteur du Chat du Rabbin, diriez-vous qu’il est plus difficile de parler de religion en 2015 qu’au moment du tome 1 du Chat en 2001 ou même qu’en 2006, date du dernier album paru ?

Ce n’est pas une question de difficulté, c’est une question d’espoir. Quand j’ai commencé le Chat du Rabbin, j’avais vraiment l’espoir que cela pouvait aider - allez disons des gros mots - au « vivre ensemble » ou à la « paix civile », pour faire comprendre que dans le Maghreb, il y a des juifs et des arabes qui se ressemblaient beaucoup ou à amener les gens à regarder les relations entre les juifs et les arabes à l’aune du Maghreb plutôt qu’en regardant la Palestine et Israël. Il me semble que c’est un échec retentissant, mes livres ne servent à rien, donc ça me permet de travailler librement... Mon titre préféré de livre vient de l’autobiographie d’Hugo Pratt : Le Désir d’être inutile (éditions Robert Laffont). Voilà… à 44 ans, j’ai le désir d’être inutile, de faire des livres pour le plaisir. Donc, au contraire, cela simplifie les choses d’une certaine façon. On s’enlève l’idée d’une mission sacrée et on travaille pour soi.

Dans ce nouvel album, Le Chat fait preuve pour la première fois d’une certaine forme de cruauté…

Ah bon, vous trouvez ? Comment a-t-il acquis la parole ce Chat ? (NDLR en mangeant un perroquet)… (rires) Le personnage de mon Chat n’est pas nouveau, il a beaucoup à voir avec le renard du Roman de Renart ou avec Scapin dans la Commedia dell’arte ou avec le valet Figaro. C’est un valet au sens le plus traditionnel du terme : il est dans la maison de son Maître et il fait des bêtises. Il me semble que, de toute façon, le héros c’est toujours celui qui fait des bêtises. Chez les chats, et le Chat en particulier, la cruauté est très présente et en même temps elle est presque pardonnée par son amour démesuré pour les gens qu’il aime, par son espoir… Très consciemment je dépeins un animal égoïste et cruel, comme peut l’être chacun d’entre nous. En même temps, on voit bien qu’il ne se donne pas trop d’importance, par exemple il considère que quand, lui, ment ce n’est pas très grave mais que si les humains s’y mettent, ça devient vraiment préoccupant. Et en ça, il est très enfantin, je trouve qu’il  est assez attachant par cet aspect-là.

C’est le 2ème livre publié cette année avec, dans le titre, le mot Dieu…

Si Dieu existe (édition Delcourt) parle vraiment de religion. Tu n’auras pas d’autre dieu que moi (NDLR : titre du tome 6 du Chat du Rabbin) c’est un véritable blasphème, puisque c’est le Chat qui parle. Ce n’est pas Dieu qui dit ça. Le thème c’est l’exclusivité : on veut quelqu’un juste pour soi. Pourquoi on accepte la Bible ? On l’accepte parce que quand on est petit, on se dit le Messie c’est peut-être soi… Marjane Satrapi le racontait quand elle subissait un enseignement religieux (NLDR : Persepolis) elle se disait le Messie c’est peut-être moi… J’ai l’impression que Tu n’auras pas d’autre dieu que moi c’est le procès de la mégalomanie, de la personne qui se croit le centre du monde.

Y a-t-il une part de vous dans chacun des personnages du Chat du Rabbin ?

Un personnage n’est pas un être humain, c’est une part de notre volonté. Un personnage existe dès l’instant où on veut faire dialoguer plusieurs points de vue. Dans ce contexte oui, il y a quelque chose de moi dans chacun des personnages c’est une certitude. Ce qui est intéressant (ou pathétique je ne sais pas), c’est que j’ai toujours été totalement dans le camp du Chat, et en vieillissant je m’aperçois qu’une partie de moi se retrouve un peu dans le camp du rabbin. En particulier dans le menu qui parle de prière. Ce n’est pas une certitude que ce rabbin croit en Dieu, par contre il a besoin de prier. Beaucoup de gens ont vécu ça. J’ai perdu mon père l’an dernier, et moi qui suis incroyant, je me suis retrouvé à prier. Tout simplement, parce qu’enfant, mon père m’emmenait au temple, on faisait des prières ensemble. Sur la fonction de la prière, sur l’humilité du rabbin qui a bien compris que finalement il faut accepter le monde parce qu’on ne peut pas y faire grand-chose, il m’arrive d’être dans le camp du rabbin. C’est peut-être l’effet de mon grand âge (rires).

Dans une interview, vous avez dit que le Chat vous parlait à nouveau… Cela signifie-t-il qu’il y aura une suite prochaine au Chat du Rabbin ?

Oui, j’ai commencé à écrire le prochain. La source s’était vraiment tarie. Pendant 9 ans, ce personnage ne me « disait » plus rien. Peut-être parce qu’il avait eu trop de succès. D’une certaine façon j’avais l’impression qu’il ne m’appartenait plus, je ne me souvenais même plus pourquoi j’avais fait cette série. Et là, pour mille raisons, peut-être parce qu’il y a eu des bouleversements dans ma vie, peut-être parce qu’on parle beaucoup de religion dans notre pays, le personnage se remet à me parler. Le prochain album sera beaucoup plus comique et provocant que ce tome 6, qui est vraiment plus tendre.

Diriez-vous que Le Chat du Rabbin est une fable sociale ?

Un des enjeux du Chat du Rabbin, et non des moindres, c’est de faire de la fable animalière, qui a toujours été très moraliste chez Jean de la Fontaine et d’autres, mais de faire en sorte que ce moralisme devienne de la question, de la dialectique. Comment faire pour fabriquer des questions ouvertes... La religion bien comprise devrait appeler à se poser des questions, une exaltation du doute, du dialogue. C’est dommage qu’il y ait des gens qui transforment la religion en doctrine, mais dans toutes les 3 grandes religions, il y a des courants qui exhortent au doute, à la discussion, à l’ouverture. On ne se sortira pas de la crise actuelle en simplifiant la parole religieuse qui peut être très complexe et très ouverte.

Quels sont vos autres projets en cours ?

Je suis en train d’illustrer le prochain roman de Véronique Ovaldé, c’est un texte qui, dès sa première édition, sera illustrée, je suis très heureux de ça. Et j’ai commencé un nouveau Chat du Rabbin. Fin septembre, mon deuxième carnet sort chez Delcourt, Je t’aime ma chatte. Il y a un lien assez simple entre mes carnets et Le Chat du Rabbin : des événements que je vais raconter de manière autobiographique dans mes carnets, je vais les raconter de manière rêvée dans le Chat, mais sans doute que cela parle des mêmes émotions…


LE CHAT DU RABBIN - TOME 6 - TU N'AURAS PAS D'AUTRE DIEU QUE MOI - EN LIBRAIRIE

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